Décidément, ce mois de mai est bien peu réjouissant, entre le froid et les épisodes pluvieux qui se succèdent. Ne souhaitant pas me laisser abattre par la météo et profiter de mes congés, je scrute les prévisions : sur les Alpes du nord, aucun espoir, le mauvais temps est de mise ; quant aux Alpes du Sud, c’est un peu plus prometteur. Il me faut pour cela dépasser Briançon. Le Queyras semble donc la destination idéale, Météo France annonçant, je cite, de « rares averses » sur l’après-midi, potentiellement intéressant pour avoir quelques ambiances.
Après avoir analysé la carte topo, j’opte pour les lacs du Malrif, à Aiguilles. Je passe un coup de fil à la mairie au préalable pour savoir si la piste de la bergerie du Lombard est ouverte. Renseignements pris auprès d’un élu, la secrétaire me dit que c’est tout bon. Me voilà alors parti pour les Hautes-Alpes. Au col du Lautaret, les Écrins sont magnifiquement plâtrés et le soleil radieux. Je continue jusqu’aux portes du Queyras, tandis que le ciel s’ennuage peu à peu. Le doute s’installe. Arrivé au parking, à 1965 m d’altitude, mon optimisme en prend un coup : l’atmosphère s’est totalement voilée et un vent froid s’est installé. Après toute la route parcourue, il est trop tard pour abandonner. Et après tout, le bulletin météo prévoit du mauvais temps que sur une demi-journée seulement (du moins, le crois-je). J’arpente alors le sentier. Exposé sud, il est dépourvu de neige jusqu’à environ 2400 m d’altitude, au niveau de la Crête du Serre de l’Aigle. C’est précisément dans ce secteur que les conditions se dégradent à vue d’œil : le vent se renforce, la température baisse et derrière moi, sur les montagnes, défilent des draperies grisâtres. La neige.
J’active le pas, j’espère atteindre les lacs avant que les hostilités ne commencent. Cependant, juste au sud du Grand Laus, une combe exposée à l’est me ralentit considérablement, la neige y est particulièrement abondante et je m’enfonce jusqu’aux genoux à chacun de mes pas. Un vrai bourbier, alors que j’aperçois en face le panneau annonçant l’imminence du lac. Mais les évènements en décident autrement. Tandis que je patauge dans le manteau blanc, la neige commence à tomber. Animée par un vent puissant, elle se transforme en rafales de petits projectiles. Il faut rapidement aller s’abriter. Je descends d’une cinquantaine de mètres la combe pour trouver un replat. J’y plante la tente en catastrophe, le froid engourdissant mes doigts et les vêtements bien humidifiés. Duvet, doudoune, bonnet et gants m’offrent un réconfort bienvenu. Je patiente un moment, pensant subir qu’un épisode passager. Mais rien n’y fait, la nuit commence à tomber et dehors les conditions sont toujours aussi hostiles. Je prends alors un frugal repas et regarde un film pour m’occuper. Pendant ce temps, la toile de mon abri de fortune tremble à tel point que certains dialogues sont inaudibles dans ce vacarme assourdissant.
Difficile de trouver le sommeil…les heures défilent…un répit relatif du vent m’autorise un bref assoupissement…interrompu par un soudain froid humide. Un œil dehors, une myriade d’étoiles scintille. C’est le rayonnement nocturne. Il est 2 heures. Je ne trouve cependant pas le courage d’aller faire des photos. La fatigue m’emporte enfin, mais à 5 heures, c’est une nouvelle épreuve qui s’annonce. Mon bivouac improvisé est littéralement balayé par de puissantes bourrasques. Si jusqu’à présent j’étais surtout désabusé par cette sortie ratée, pour la première fois l’inquiétude me prend. La toile hurle de douleur tant elle est fouettée de tous les côtés et, plus embêtant, les arceaux de ma MSR sont pliés par l’intensité du blizzard. C’est pourtant une tente 4 saisons, elle est censée tenir. Je soutiens l’armature avec mes mains pour soulager ses souffrances. Mes espoirs d’une accalmie sont annihilés, le jour se lève et c’est toujours la sensation d’être au cœur d’une soufflerie qui domine. Pas question de rester encore des heures ici. Méthodiquement je m’attèle à préparer mon sac, afin de limiter l’entreposage de matériel dehors qui finirait irrémédiablement à des centaines de mètres. Une fois prêt, je le laisse à l’intérieur pour aider la tente à ne pas s’envoler et vais faire quelques images du lever de soleil sur les sommets. Sur le sol, les grains de neige forment des traînées d’une beauté assassine.
Vient alors le moment le plus délicat : ranger la tente sans perdre un quelconque élément. Au prix de quelques acrobaties et de doigts engourdis, j’accomplis la tâche avec succès. Il me faut alors remonter cette combe à pieds, dans laquelle je m’enfonce toujours autant. Basculant enfin sur l’autre versant, la bise se calme et cette fois c’est moi qui peux souffler. Avec le recul, je me suis probablement installé au pire des endroits, même si les circonstances ne m’ont guère laissé le choix. Au final, il a neigé environ 3-4 cm à partir de 2200 m d’altitude. Je retourne à la voiture sous un grand ciel bleu, avec le regret de ne pas avoir atteint les lacs pourtant si proches. En dépit des apparences, les conditions là-haut étaient particulièrement inhospitalières. Une sortie riche en actions, à défaut de belles images…