Il se dresse là devant moi, du haut de ses 3178 mètres, avec en ligne de mire constante sa chapelle sommitale, le Thabor semble si proche. La pente est plutôt raide dès le col des Méandes passé. L’édifice religieux sur le toit de la montagne instaure une ambiance qui tend plus du pèlerinage que de la simple randonnée, sentiment renforcé par les nombreux signes ostentatoires qui jonchent le sentier. Exposée sud, cette face est heureusement peu enneigée, mis à part quelques névés çà et là. L’altitude commence à se faire ressentir sur l’organisme, surtout à partir de la barre des 3000 mètres. Le souffle est court, chaque enjambée demande plus d’énergie. Le parcours se transforme en chemin de croix pour le pèlerin que je suis, portant sur mon dos non pas mon échafaud mais mon sac de 20 kg…
Le petit col sous le sommet, à 3062 m, est un carrefour avec les randonneurs venus de Valmeinier. C’est aussi d’ici qu’on peut voir les derniers mètres de l’objectif. Bon nombre de touristes laissent leur sac à dos ici pour finir le dernier tronçon, sûrement harassés de tout le chemin parcouru. A 11h55, le Thabor est atteint, il ne m’aura fallu au final qu’1h15 depuis le col des Méandes ! Le temps est magnifique, ce qui permet d’apprécier le paysage sur 360°.
Je passe toute mon après-midi à lézarder sur un banc accolé à la chapelle, le soleil est piquant quand la petite brise daigne s’arrêter. J’y observe les va-et-vient des gens, les écoute parfois. Il y a beaucoup d’italiens ici, la frontière étant toute proche.
En fin d’après-midi, le sommet se dépeuple, tandis que le ciel commence à s’encombrer de nuages. Je profite d’avoir un peu de réseau pour vérifier les prévisions de la veille : le mauvais temps est bel et bien annoncé. La chapelle sera mon abri pour cette nuit, malgré son état qui en rebuterait plus d’un : toute la partie avant est en train de s’affaisser, des fissures laissant voir le jour se dessinent sur le mur frontal, la dalle laisse entrevoir un trou béant. Avec toute l’ironie qui me caractérise, je pose mon tapis de sol au pied d’un Jésus crucifié, voilà un bivouac plutôt atypique et insolite. Un groupe de 5 jeunes venus de la Loire seront mes colocataires du jour. En soirée, les nuages menaçants ceinturent la zone et le vent se lève : il n’y a aucun espoir de coucher de soleil, même si d’éphémères jeux de lumières magnifient le paysage vers l’ouest. C’est donc peu après 21 heures que j’essaie de trouver le sommeil. Vers 2 heures, je jette un œil dehors dans l’espoir de faire quelques clichés nocturnes : brouillard complet. Je réitère à 5 heures : pas mieux. J’en conclus hâtivement que c’est râpé pour le lever de soleil. Pourtant, à 6 heures, des rayons s’immiscent à travers la fenêtre de la chapelle. Branle-bas de combat ! Je m’habille en catastrophe, rassemble mon matériel et file dehors : une mer de nuages déchiquetée et agitée s’anime autour du Thabor. L’ambiance est somptueuse, en dépit du froid amplifié par un vent traître. Je m’exécute à immortaliser ces scènes fugaces et samivelesques avant de retourner dans la frêle bâtisse. Un café fort bienvenu m’est offert par mes compagnons du jour.
A 8h15, une fois mes bagages pliés, c’est le long chemin du retour qui m’attend. Les 1300 mètres de dénivelé négatif me font douter physiquement : la fatigue cumulée, des repas frugaux et surtout la faible quantité d’eau bue vont mettre les articulations à rude épreuve. J’attaque le retour jusqu’au col des Méandes de façon un peu ludique en empruntant une combe enneigée sur près de 500 mètres de dénivelé. La portion la plus raide a eu raison de moi et c’est sur les fesses que je termine. Heureusement sans conséquence, même si j’ai frôlé quelques blocs sur une zone ombragée et glacée ! Du coup, seulement une demi-heure a été nécessaire pour faire cette section. D’un pas engagé, je continue le parcours en retrouvant les spots vus deux jours auparavant : lac du Peyron, col de la vallée étroite…sous un soleil agréable et une légère brise, bien loin des conditions hostiles du Thabor quelques heures plus tôt…
Finalement, à 11h15 le Parking du Lavoir est retrouvé, il ne m’aura fallu que 3 heures pour tout redescendre. Les genoux ont tenu bon ! La déception de ne pas avoir pu faire des photos nocturnes et d’avoir les premières lueurs du jour n’entachent cependant pas la fierté d’avoir enfin pu faire le Thabor. Objectif pourtant modeste et qui n’a rien d’un exploit, j’ai jusqu’à présent toujours douté de mes capacités, c’est désormais chose du passé. Un week-end solo magnifique dans ce paradis qu’est le massif des Cerces, ces moments-là resteront toujours de véritables expériences de vie, année après année.