A force d’enchainer les bivouacs dans le froid et le vent, j’ai chopé la crève. Qu’importe, l’automne bat son plein et pour honorer dignement cette saison, direction un coin célèbre que je ne connais pourtant pas : le cirque du Fer à Cheval, en Haute-Savoie. L’éphémère perturbation de la veille n’a guère apporté de pluie, ni même de neige, à peine observe-t-on un léger saupoudrage des sommets à plus de 2800 mètres.
En ce vendredi, le grand parking est bien désert et d’emblée l’endroit impose de sa magie. Le visiteur que je suis est accueilli par l’imposant Pic de Tenneverge, grande cathédrale rocheuse s’élevant jusqu’aux cieux. J’entame mes premières foulées peu avant 13 heures, une mise en jambes sur le chemin en fond de vallée, encerclé de toutes parts par cette forteresse monolithique baignée dans les couleurs d’automne. Il va pourtant bien falloir la gravir. C’est à partir du Chalet de Prazon que les hostilités commencent : le sentier se fraie un passage dans cette abrupte pente, bordée çà et là par des câbles en acier pour rassurer le visiteur en proie au vertige. Le rythme cardiaque s’accentue, avec 20 kg sur le dos, l’exercice n’en est pas plus aisé. Une heure plus tard, le Chalet du Boret est atteint, de quoi souffler un moment. Ce n’est pourtant là qu’une bien maigre étape de franchie, il faut presque se dénuquer pour entrapercevoir l’objectif du jour, là-haut dans ce dédale rocailleux.
Cette pause m’a fait du bien, j’avance à bonne allure dans le versant, atteignant rapidement la Pierre du Dard, puis le Refuge de la Vogealle peu avant 16 heures, stimulé par les paysages enivrants du site. Au niveau du refuge, je bifurque sur le promontoire à droite, aux formes déchirées et sculptées par l’érosion, labyrinthe de lapiaz à l’esthétique singulière. Un point haut me permet de dominer la haute vallée du Giffre. De quoi faire quelques clichés d’ambiances, entre les cascades, forêts dorées et relief découpé, le tout dans une atmosphère assez humide, les versants d’altitude étant embrumés.
Ayant initialement prévu de stationner sur ce secteur jusqu’au couchant, une intuition m’anime : derrière, les Dents Blanches sont illuminées par le soleil, coiffées d’un brouillard virevoltant. C’est plutôt là-bas qu’il faut être. Je remballe et slalome sur ce parterre de lames calcaires dressées vers le ciel et me dirige à cadence soutenue en direction du Lac de la Vogealle. Il est bientôt 17 heures et la lumière n’attendra pas. Presque à bout de souffle et épuisé, me voilà au plan d’eau, tandis que la luminosité se meurt sur les sommets, trop tard !… Le jour décline, entrainant avec lui l’arrivée de la brume, qui s’immisce dans les moindres recoins de la vallée, y compris celle où je suis. J’installe ma tente sur un replat herbeux pour y trouver un peu de réconfort, et m’y glisse à l’intérieur. Je scrute dehors de temps à autre, les montagnes restent bouchées, inutile d’espérer.
Après m’être occupé un moment à manger et regarder un film (il fait nuit tôt en cette saison !), je passe la tête à l’extérieur, tout est dégagé et les cimes sont éclairées : le lever de Lune ! Je rejoins les rives du lac pour immortaliser cette scène pendant un peu moins d’une heure, jusqu’à être de nouveau envahi par la brume. Il est temps d’aller dormir.
Bien que fraîche, la nuit est plutôt agréable, sans le moindre vent, confortablement recroquevillé dans mon duvet adapté à ces rudes conditions. La douloureuse arrive lorsque le réveil sonne à 7h30. Dehors, le froid s’est emparé des lieux, un quart du lac a gelé durant la période nocturne. J’empile les couches mais mes pieds sont congelés dans ces chaussures d’alpinisme bien trop serrées pour faire circuler l’air. Au-dessus de ma tête, c’est tempête de ciel bleu. Les conditions de prise de vue n’offrent rien d’exceptionnel, même si l’instant demeure beau. Je regagne mon abri de fortune pour me réchauffer, jusqu’à ce que le soleil franchisse la crête pour imprégner le secteur de ses rayons bienvenus. Le silence du moment n’est trahi que par les blocs dévalant les versants, probablement lié au gel/dégel car malgré mes observations, par le moindre ongulé ne semble présent par ici.
A l’origine, mon objectif était de passer deux nuits dans ce coin, en allant du côté de la Pointe de Bellegarde. La raison semble prendre le pas sur le cœur : je ne ressens pas la force ni la motivation d’aller là-haut. Les conditions météo sont trop banales et le sentier passe par un tronçon assez engagé, le gel et l’humidité pourraient m’être fatal, d’autant plus que je suis seul.
J’entame donc la descente qui use bien les genoux. Le retour à la voiture sonne comme une récompense. L’influence du week-end ensoleillé se fait bien sentir, le parking est bondé. Une sortie relativement éprouvante, mais qui m’aura permis de découvrir un lieu magnétique. J’y reviendrai, assurément.