Jour 1 : Fouillouse > Lac des 9 couleurs
Une nouvelle vague de canicule s’abat sur la France en cette mi-juillet. Coïncidant avec le pont du 14, l’occasion est toute trouvée pour aller chercher l’air frais en altitude. Et c’est le moment pour moi d’enfin explorer l’Ubaye, après une tentative avortée il y a une dizaine d’années. L’objectif est d’effectuer le tour de l’Aiguille de Chambeyron sur trois jours.
Le premier d’entre eux doit me conduire jusqu’au lac des neufs couleurs.
En fin de matinée, le parking de Fouillouse au terminus de l’étroite route est déjà bondé. Je m’insère dans l’une des toutes dernières places disponibles. C’est ainsi que débute l’ascension, chargé de mes 20-22 kg sur le dos. Le soleil cogne déjà fort. Fort heureusement, une petite brise vient atténuer la sensation de chaleur. La montée s’effectue sans difficulté particulière et le refuge est atteint aux alentours de 14h. Une source bienvenue me permet de me ravitailler. Au détour d’un col, une croix en métal se détache dans le ciel, elle signale le passage à prendre pour le sentier et aussi le début de la zone des lacs. Arrivé à sa hauteur, la météo est tout de suite plus fraîche : les nuages se sont densifiés, obstruant le soleil, tandis que le vent redouble d’intensité. Le secteur devient également beaucoup plus minéral. Des chaos d’éboulis parsèment les versants, des blocs rocheux tapissent le vallon et les terrains herbeux se font rares.
Peu après 15h, voilà l’objectif atteint. Nombreux sont ceux qui ont eu la même idée au vu des tentes déjà installées ici. C’est manifestement un endroit fréquenté, des petits murets de fortune ont été construits sur toutes les zones planes autour du lac. Je parviens à trouver un spot libre à l’écart du sentier. Cette protection est fort bienvenue pour contrer les assauts du vent.
Les nuages deviennent de plus en plus sombres. Quelques gouttes commencent à tomber, c’est parfait, moi qui ai prévu ce trek entièrement à la belle étoile. Je sors le poncho mais finalement fausse alerte, les éclaircies reviennent. Si l’environnement est magnifique, difficile d’identifier un endroit favorable pour les photos, le lac est trop grand et aucun cadrage ne me convient. J’erre alors à l’ouest du plan d’eau, sur les hauteurs rocailleuses, jusqu’à ce que le Brec de Chambeyron s’illumine sur le dernier quart d’heure du jour. Aucun premier plan ne me satisfait, puis je repère un petit plan d’eau circulaire en contrebas. Je m’y précipite aussitôt pour capter le reflet incandescent. C’était in extremis !
La pénombre s’installe, je regagne mon bivouac pour aller dormir, las de cette journée. La fatigue accumulée ces dernières semaines a eu raison de moi, impossible de trouver le courage de m’extirper du duvet pour capter les paysages sous la clarté lunaire, ni pour les rayons de l’aube, sous un ciel bien trop clair.
C’est vers 8h30 que je me réveille, en même temps que le soleil passe la ligne de crête. C’est sans doute là le meilleur moment de la journée, l’esprit encore léthargique, la température encore fraîche, la peau délicatement réchauffée par notre étoile bienvenue. Il est temps de plier et surtout manger un bout pour prendre des forces, la seconde étape ne va pas être de tout repos… !
Jour 2 : Lac des neufs couleurs > Lacs supérieurs de Marinet
Il est 9h15 lorsque j’attaque la deuxième étape de ce trek, et déjà la chaleur envahit les lieux. Le programme du jour est ambitieux, l’objectif est de rejoindre les lacs supérieurs de Marinet en effectuant un crochet côté Italie, dans un secteur exigeant sur le plan physique. Plusieurs cols sont à franchir, le premier d’entre eux est celui de la Gypière (2927 m), tout proche. Il domine le lac des neuf couleurs et marque également la frontière franco-italienne. De nombreux randonneurs arpentent les sentiers, dont une bonne partie se rend à la Tête de la Fréma, un 3000 emblématique du coin. Je fais l’impasse dessus et poursuis l’itinéraire dans un environnement très minéral et sec, trop sec d’ailleurs…au niveau du bivouac Barenghi (2815 m), la source ne livre aucune goutte d’eau. Moi qui souhaitais ravitailler à cet endroit, c’est une cruelle déconvenue, il va falloir compter sur les trois quarts de litre restants jusqu’à Marinet. Je rejoins un groupe d’une dizaine de randonneurs que je vais suivre sur quelques kilomètres, ceux-ci se rendant à Maljasset. De ce côté, le GR porte le nom de « Sentiero Dino Icardi », en hommage à un alpiniste de la vallée. Il contourne un éperon rocheux dominé par une roche percée, sorte de Trou de la Mouche local. Il débouche sur le petit Lago dell Finestra, surmonté du col éponyme, jusqu’à rejoindre un second col après avoir parcouru le flanc de la montagne : le Colle dell Infernetto (2783 m). Qu’est-ce qui justifie un tel nom ? L’accès depuis la Gypière n’a pourtant rien de très ardu. Est-ce à cause du versant nord bien raide, équipé de câbles ? Ou plutôt la vision d’horreur du col suivant (Ciaslaras) qui donne des sueurs froides ?
En tout cas il faut poursuivre, alors les bâtons sont pliés et rangés temporairement, afin d’avoir les mains libres pour se cramponner aux cordes et câbles fixés à la roche, fort utiles. Heureusement, ce n’est qu’une affaire de quelques dizaines de mètres. Le chemin longe le pied oriental de la Pointe du Fond de Chambeyron jusqu’à atteindre la difficulté majeure du parcours : la tant redoutée ascension du Colle di Ciaslaras (2950 m). Dans un paysage lunaire et sous un soleil de plomb, le sentier zigzague dans une pente à 60% sur près de 300 mètres de dénivelé. Le cardio est mis à rude épreuve, mais quelle satisfaction une fois arrivé au sommet. Le panorama sur la vallée opposée est grandiose, dévoilant une myriade de sommets alpins : des Aiguilles d’Arves au Mont Thabor, en passant par le Pic de Rochebrune. Sur la gauche, le lac de Marinet tranche dans le paysage par son bleu azur, de même que le relief de la Roche Noire, formé d’andésite, lui donnant de curieuses teintes vertes.
La descente côté nord du col est aussi abrupte que la montée, mais heureusement beaucoup plus courte. Le tracé franchit un dédale rocheux conduisant au col de Marinet (2787 m), localement pelé et ocre, marquant par ailleurs le retour en terres françaises. Le GR rejoint le lac du même nom en contrebas, où certains randonneurs se permettent une baignade, comme si les lacs d’altitude étaient une base de loisirs… De mon côté, je trace direct vers le refuge-bivouac à proximité et plonger ma bouteille dans le torrent, il était temps, j’étais sur la réserve ! L’abri étant libre, je m’y installe pour récupérer et profiter de la fraîcheur. Pris par la fatigue, je m’octroie même une sieste sur le plancher, dans un silence absolu, seulement trahi par le crépitement des tôles, sous l’effet de la chaleur.
Requinqué, je reprends l’itinéraire pour la dernière montée de la journée, en longeant le second lac de Marinet, au pied duquel vient mourir le front du glacier rocheux, à la forme impressionnante et magnétique. D’ici, la crête à l’ouest indique la direction des 200 derniers mètres à gravir. Je coupe droit dans la pente, cet ultime effort m’amène aux lacs supérieurs de Marinet. Nichés dans un vallon à 2682 m d’altitude entre le Pas Sud de Chillol et une crête rocheuse, ils offrent un visuel d’exception sur l’Aiguille de Chillol, culminant à plus de 3300 mètres. Un couple a déjà installé leur tente sur le replat. Je trouve pour ma part un endroit favorable pour le bivouac, et profite tranquillement des lieux en trempant les pieds dans l’eau et en vadrouillant aux alentours pour du repérage. Celui-ci m’amène au niveau du relief à l’est, surplombant d’une cinquantaine de mètres les lieux, et surtout dominant toute la vallée du Marinet, dévoilant un panorama grandiose. Le paysage est un cours de géomorphologie grandeur nature, à tel point que j’envoie le drone immortaliser de face ce géant silencieux qu’est le glacier rocheux. Le soleil décline vers l’horizon, les teintes se réchauffent, transformant les cimes en de brèves braises incandescentes, avant que quelques nuances plus sombres annoncent l’approche de la nuit. Blotti dans mon duvet, je me laisse facilement endormir, les températures clémentes aidant. Vers 2 heures du matin, petite escapade nocturne pour quelques photos sous la clarté lunaire, puis une seconde vers 6 heures pour cette fois capter le reflet parfait sur le lac. Malgré le ciel bleu digne d’une carte postale, la scène est aussi magnifique qu’apaisante.
Contrairement à la veille, je ne traine pas et quitte l’endroit à 8h15, la dernière étape n’est pas la plus courte…
Jour 3 : Lacs supérieurs de Marinet > Fouillouse
Ce troisième jour est synonyme de fin du trek. Il n’en demeure pas moins que c’est aussi la plus longue des étapes sur le plan du kilométrage. Il faut en effet retourner à Fouillouse, qui est diamétralement à l’opposé. Passer par le GR via Maljasset aurait été bien trop long, j’ai donc opté pour un raccourci au sein d’une vallée assez secrète, par le vallon de Chillol, via le tout proche Pas Sud du même nom. Le sentier n’apparait pas sur la carte IGN mais quelques cairns et un sens de l’observation permettent de descendre cette zone sauvage. En atteste ce sifflement d’un chamois, dérangé par ma présence et grimpant les éboulis avec une agilité déconcertante. Après avoir traversé un verrou rocheux sillonné par le torrent de Chillol, me voilà arrivé à la bergerie éponyme. Ma crainte était d’y rencontrer un troupeau et la gestion toujours délicate des patous. Heureusement, aucune trace humaine ne se manifeste, me permettant de continuer en toute quiétude. A partir de là, le chemin est tracé, quittant la zone d’alpage pour entrer dans la forêt. Dans cette transition, un mouvement attire mon regard à une centaine de mètres en contrebas : une silhouette canine, élancée, aux teintes gris sombre. Un loup ! Une rencontre furtive de quelques secondes avant que l’animal ne disparaisse. Quelle belle surprise !
Les genoux sont mis à rude épreuve dans cette descente, plongeant jusqu’au lit de l’Ubaye, au parking des Houerts à 1726 m, signalant le retour à la civilisation, matérialisée par le bitume de la RD25. Néanmoins, encore 8 km me séparent de la voiture ! Le tout sur ce parterre goudronneux, véritable brasier pour le pèlerin que je suis. N’étant clairement pas la plus agréable partie du circuit, je lève le pouce dans l’espoir qu’une âme charitable prenne pitié de moi. Malheureusement, milieu de matinée oblige, la plupart des personnes remontent la vallée. A mi-parcours, enfin un local me propose d’écourter cette épreuve et me dépose un peu plus bas, au parking du Châtelet (1600 m). Le panneau indique 1h30 de marche pour rejoindre le hameau de Fouillouse, situé 300 m plus haut en altitude tout de même. Qu’à cela ne tienne, c’est reparti pour la marche sur chaussée. De nouveau, je tente le stop auprès des quelques véhicules qui empruntent la route. Alors que la moitié du tronçon est avalé, une famille belge s’arrête et m’invite à les rejoindre, bien que déjà 4 à l’intérieur. J’accepte volontiers et leur montre quelques images de mon trek sur le reste de l’itinéraire. Sachant pertinemment que le parking sera complet là-haut, je leur propose en échange de bons procédés ma place de stationnement. Le deal parfait où tout le monde est gagnant.
Pourtant habitué des randos, c’est paradoxalement mon premier trek en solo sur plusieurs jours. Malgré la chaleur, la fatigue et les aléas à gérer, ce petit voyage d’une trentaine de kilomètres a été plus que concluant. L’absence de réseau a de plus permis de vivre pleinement l’expérience, en se calant sur le rythme du soleil, et du ressenti. Que retenir de ces trois jours, quels ont été les moments forts ? Le lac des neuf couleurs pas si transcendant que cela ; le tronçon côté italien physiquement exigeant (en particulier la bavante du Colle di Ciaslaras) ; le glacier rocheux du Marinet ; la beauté des lacs supérieurs de Marinet et enfin la rencontre fugace avec le loup.