La chance sourit aux audacieux, voilà un adage qui résumera bien la sortie du week-end !
La pluie est enfin tombée ces jours dans les Alpes, après des semaines de canicule éprouvante, aussi bien pour nous autres hominidés que tout l’environnement. Il a même plu ce vendredi, de quoi nettoyer l’atmosphère de toutes les impuretés accumulées jusqu’à présent. Même ce samedi, les conditions apparaissent fort peu engageantes, les cimes étant presque toutes vêtues de brume, où il ne doit y faire bon vivre.
C’est pourtant dans ce décor qui en aurait fait abandonner plus d’un que j’arrive au parking des Prés Ronds (1227 m), à quelques encablures du lac d’Annecy. L’objectif du jour, la célèbre Tournette (2350 m), est invisible à ce niveau, prise dans des nuages d’un gris menaçant. Voilà 14 ans jour pour jour que je ne l’ai pas gravi !
Il est un peu plus de 15 heures quand j’entame les premières foulées sur le chemin menant au Chalet de l’Aulp. L’accueil des lieux est assez tonitruant avec d’emblée une averse qui, fort heureusement, n’est que ponctuelle. Au col, le ciel est partagé entre ciel bleu et nuages qui défilent. La muraille calcaire demeure quant à elle assez hostile. Qu’importe, cette rando est un pari osé. La météo du jour a ce côté positif d’occasionner une baisse de fréquentation, là où en temps normal c’est une procession de promeneurs. Le sentier surpiétiné et les affleurements rocheux polis à l’excès en témoignent.
Arrivé sur le replat du Casset (1750 m), la brume glissant sur les versants donne un côté mystérieux au lieu, et cette destination toujours imperceptible. Quelques bouquetins se laissent observer, tandis que le chemin continue à serpenter, nécessitant une vigilance permanente, quand il ne faut pas s’aider des chaines utilement placées sur les zones exposées. Une fois la crête au-dessus du col du Varo atteinte, un certain optimisme commence à se frayer une place dans mon esprit, puisque le fameux « fauteuil » sommital fait son apparition, illuminé par le soleil. C’est avec un incontestable regain de motivation que les 200 derniers mètres de dénivelé sont avalés. Il aura donc fallu environ 4 heures pour en venir à bout, l’horloge indiquant 19 heures.
Là-haut, les paysages prennent une dimension divine avec ces nuages qui s’agitent au gré du vent, laissant toujours planer le doute sur l’issue de la journée : la Tournette sera-t-elle embrumée, ou le massif se découvrira-t-il ? Si les températures n’étaient pas aussi fraîches, on pourrait qualifier les conditions de tropicales tant l’humidité est forte sur ce promontoire rocheux. A l’est, côté Mont Blanc, les vallées se dégagent, tandis qu’à l’ouest l’indécision demeure et ce jusqu’aux derniers instants du jour. Mais avec une chance insolente, le panorama se libère pour assister à un magnifique coucher de soleil, aux tons d’un rouge et orange incandescents. Chose inespérée, même le lac en contrebas daigne se montrer. L’heure bleue offre par ailleurs de belles conditions de prises de vue grâce aux poses longues sur le brouillard arrivant de la vallée de Thônes.
La nuit tombe, il est temps d’aller fermer la boutique, et quoi de mieux qu’un petit replat caillouteux pour passer une nuit à la belle étoile ? Un espace permettant de caler uniquement le tapis de sol est disposé 20 mètres sous la croix, c’est à la limite du luxe tant le « fauteuil » n’a rien de si confortable que son surnom le présume.
L’épisode nocturne a été humide, très humide, toutes les protections des équipements sont garnies de rosée à 6 heures du matin, au moment d’aller capter les premiers frétillements de l’aube. D’autres randonneurs partis très tôt sont déjà au sommet. La nébulosité a quasi disparu, le paysage n’en est pas moins beau. Le regard se perd à 360 degrés, bien que certains sommets l’attirent plus que d’autres : le Mont Blanc inévitablement, le Mont Pourri chaussé de la Pierra Menta par le jeu de la perspective, la chaîne des Aravis toute en longueur et, au loin, les Ecrins dont la blancheur se distingue parmi le reste.
Il est précisément 6h44 quand le soleil surgit des cimes, entre le Brévent et l’Aiguille du Tour, de quoi apporter un réconfort bienvenu et un spectacle éphémère. Après avoir rangé les affaires trempées dans le sac, c’est l’heure de redescendre pour profiter du côté ombragé. Sur les 2h40 du retour, quantité de marcheurs sont rencontrés, ayant semble-t-il préféré les conditions du jour ? Pour ma part, le culot d’être parti la veille a été couronné de succès, les belles conditions de lumière et d’ambiance ont été au rendez-vous. Quelle expérience !