Au loin, la prochaine étape se devine : le Col de la Louïe Blanche (2567 m). Il faut au préalable remonter la dénommée Bella Comba. De prime abord, tout paraît facile, si proche. La réalité du terrain va vite me rattraper. Déjà, parvenir au fond du vallon n’est pas une partie de plaisir, mais en dépit de leur caractère encaissé, la vue depuis les lacs vaut le détour. Au bout des plans d’eau, un gigantesque écroulement sur le flanc nord-ouest de la montagne a laissé la place à un dédale de rochers et de blocs sur plus d’un kilomètre. L’itinéraire sillonne pourtant dedans, des cairns régulièrement mis en place donnent un cap à suivre. Plus loin, la neige, déposée en plaques gelés, vient renforcer la difficulté de la progression. Chute et glissade sont comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête, mais avec la prudence qui s’impose, ce délicat secteur est négocié, moyennant bien une heure d’acrobaties. Le chemin débouche sur un secteur plus ouvert et accueillant sous le col, où un étonnant abri dans un ancien fortin militaire se dévoile sur la droite. Ouvert aux quatre vents, sinistre à souhait et avec des latrines d’un autre âge, il n’est assurément pas conseillé pour y passer la nuit ! Les dernières enjambées m’amènent enfin au Col de la Louïe Blanche, synonyme de retour en France. Le paysage de la Haute-Tarentaise se découvre, dominé par l’imposant Mont Pourri, tout de blanc vêtu, dans une lumière tamisée par les voiles élevés. Un vent modéré me contraint à redescendre un peu pour casser la croûte, sur une zone plus calme.
Un sifflement m’interpelle pendant la pause. Je scrute la falaise : deux bouquetins, aussi curieux que méfiants, me surveillent sur leur promontoire. En ligne de mire, se dessine la quasi-destination du jour, entre deux éperons rocheux : le Col du Retour. Toutefois, la carte est formelle, pour y parvenir, il est nécessaire de plonger 500 mètres au sud pour remonter d’autant. Un détour qui n’est pas à mon goût, alors je décide de couper droit en direction du sud-ouest.
Ponctué de torrents qui ont entaillé le substratum, le parcours est semé d’embûches, nécessitant une débauche d’énergie supplémentaire. Escalader, désescalader, contourner, analyser le relief, faire les bons choix…le kilomètre me séparant du sentier provenant du Passage de Louïe Blanche aura fait chauffer les articulations, en particulier celles des genoux et chevilles. Las, une fois le chemin atteint aux abords d’un petit lac sans nom, une pause bien méritée s’impose. Celle-ci est vite écourtée lorsque des nuages élevés viennent obstruer les rayons du soleil, il faut alors se remettre en marche pour ne pas attraper froid.
Le chemin contourne la Pointe des Couloureuses et un dernier raidillon permet d’atteindre le Col du Retour ! Il débouche sur le lac éponyme, au-dessus duquel émerge le Mont Pourri. Le panorama n’apparaît cependant pas idéal pour la photographie : un monticule conglomératique masque une bonne partie des sommets de la Vanoise en face. La carte IGN indique la présence d’autres petits lacs juste derrière, je m’y rends alors de ce pas pour espérer trouver meilleure fortune. L’un d’entre eux remplit les critères, ce sera mon spot du jour ! J’installe la tente sur un replat moelleux et protégé du vent puis passe une bonne partie de la fin d’après-midi sur un belvédère, à contempler. La vallée de la Tarentaise apparaît sous la forme d’un clair-obscur doré, une succession de crêtes en silhouettes, du plus bel effet.
L’horizon, encombré de nuages opaques, annihile tout espoir de coucher de soleil. Je patiente alors dans mon abri jusqu’à la nuit. Contre toute attente, le ciel se dégage progressivement, pour être totalement clair, l’occasion d’aller capter la profondeur astrale, bien que ternie par la pollution lumineuse des villes toutes proches.
Le lendemain matin, une étrange atmosphère enrobe les lieux, annonciatrice d’un changement de temps. En altitude, le vent s’est levé, les nuages défilent à vive allure. A l’est, une curieuse lumière jaunâtre illumine le Mont Pourri et son glacier, tandis qu’à l’ouest, une masse sombre n’augure rien de bon. Les images satellite indiquent qu’il pleut sur la moitié de Rhône-Alpes, le secteur semble être protégé par le foehn. J’immortalise cette scène fugace et plie rapidement le matériel, la perturbation arrivera inévitablement à percer jusqu’ici. J’active le pas à la descente. De nouveau je suis trompé par un chemin ponctué de marques jaunes, qui m’emmène au pied de la Pointe de la Roche Jaille, inexistant sur les cartes. M’étant rapidement rendu compte de cet égarement, je coupe à travers les myrtilliers sur quelques centaines de mètres afin de regagner la bonne sente, qui rapidement me conduit au point de départ où se trouve ma voiture.
Voilà un circuit qui aura été des plus éprouvants. Ces trois jours passés à la frontière franco-italienne furent marqués par la relative difficulté de quelques passages, avec des sentiers peu évidents, mais la beauté et la diversité des paysages ont largement compensé ces anicroches !