Les pérégrinations de mai se poursuivent. Cette fin de mois est caractérisée par des pressions plus basses qui stagnent sur le sud de la France, induisant des évolutions diurnes tournant à l’orage sur les massifs montagneux. Difficile alors de composer avec les aléas du ciel, entre la volonté de côtoyer les cimes et se protéger de la foudre. Il faut alors trouver des secteurs réunissant ces deux facteurs. Un des endroits qui s’y prête volontiers et celui de la Sambuy, sur la bordure orientale des Bauges. Le point convoité est parcouru à sa base par une petite station de ski, où quelques bâtiments au sommet offrent une solution de repli adaptée.
Il est 12h45 quand les premières foulées sont engagées. Le parking (1150 m) est relativement encombré, tout comme les cieux qui prennent localement de sombres teintes, tandis que les températures annoncent les prémices de l’été. La première partie de l’ascension n’a rien de très excitant : il s’agit de remonter tout le domaine skiable via la piste d’exploitation, croisant çà et là les remontées mécaniques. Dans ces conditions, les pauses contemplation sont vaines, finalement en 1h45, me voilà en haut de la station, vers 1830 m. Plusieurs constructions dénotent dans le paysage, mais les abris qu’ils constituent trouvent aujourd’hui un intérêt certain. En effet, les massifs alentours sont tous coiffés de cumulonimbus tutoyant la stratosphère. Le théâtre de l’apocalypse s’installe progressivement sous mon regard impuissant, avec comme actes des sanctions foudroyantes, aussi aléatoires que dangereuses.
Je patiente un long moment ici, les lieux étant alternativement arrosés de soleil et plongés dans l’ombre des nuages. Au loin, des vrombissements se manifestent, signe que la colère gronde là-haut. L’application indique que les orages sévissent dans le Beaufortain et surtout la Chartreuse. Peu à peu la luminosité décline : les Bauges seraient-elle la prochaine cible ? La température qui dégringole semble annoncer l’inéluctable. Un point de vue à proximité du refuge permet de voir un rideau de pluie arrosant la plaine d’Albertville. Pourtant ici, en dépit de la menace, les événements semblent ne pas se décider. En fin de journée, voilà que des teintes chaudes font leur apparition vers l’ouest. La foudre, aux portes des Bauges à Chambéry, a finalement changé de cap pour aller larguer son voltage sur Grenoble et le Vercors. Les signaux sont au vert : direction la Sambuy, il est déjà 19h30. A grandes enjambées, requinqué par le repos forcé, me voilà arpentant l’ultime dénivelé me séparant de l’objectif. L’arrivée au col m’offre un panorama sur une grande partie des Bauges, jusqu’au lac d’Annecy. Le paysage s’est paré d’une luminosité post-orageuse, aux tons orange délavé, se diffusant dans une atmosphère chargée en humidité. A droite, s’élançant dans le ciel, la Sambuy semble inaccessible tant les pentes sont vertigineuses. Elles justifient la présence de quelques marches, échelles et cordages pour assurer ses prises. A 20h15, la cime est atteinte (2198 m).
La vue est chargée en matière, notamment vers le sud et l’est, où les résidus de l’orage s’évacuent, alors que l’humidité ambiante fait valser la brume sur les reliefs baujus. Le jour se meurt progressivement, et en guise dernier adieu, le soleil a revêtu sa parure vermillon, boule rouge incandescente avant de passer derrière l’horizon. Il est temps d’installer ma modeste villégiature en ces lieux calcaires : pas de tente mais une nuit à la belle étoile, sur la caillasse mais avec le luxe d’être sur du plat, et suffisamment d’espace de part et d’autre pour ne pas rouler vers un aller simple dans l’au-delà. Le bleu de la nuit envahit les Alpes, tandis que le tonnerre résonne au loin ; il est au-dessus de Turin, bien trop loin pour être inquiétant.
Après une courte nuit, les premières esquisses du jour à l’est m’éveillent. L’atmosphère s’est débarrassée de ses nuages, prête à recommencer le jeu pour ce lundi naissant. La brume et l’humidité ternissent le paysage, un filtre naturel affadi la luminosité et les couleurs, à tel point que lorsque le soleil pointe le bout de son nez derrière le massif du Mont Blanc, celui-ci n’offre ni rayons ni chaleur. Une sphère orangée paradoxalement froide, bien différente des matins habituels. Il faut attendre près d’une heure pour en ressentir ses bienfaits, profitant de ces instants suspendus dans mon duvet. Le silence monacal est à peine trahi par les cloches des bovins en contrebas, qui s’activent.
Plus de 1000 mètres de dénivelé doivent être effectués en sens inverse. En fin de matinée, les rais de lumière deviennent presque agressifs, heureusement à midi le parking est retrouvé, signant la fin de cette petite aventure pas dénuée d’intérêt.