Le mois de juin tire à sa fin, mais l’envie d’aller là-haut ne faiblit pas. La veille, un épisode orageux a déversé quantité d’eau dans le secteur, nettoyant au passage le sable du désert obstruant le ciel d’un voile gris-jaune opaque, du plus mauvais goût pour quiconque cherche de belles lumières. Il n’est donc pas étonnant de voir ce vendredi les montagnes accrochées de brumes, la chaleur faisant évaporer l’humidité ambiante. Un phénomène créant des conditions optimales pour avoir un peu de texture, avant que l’anticyclone, arrivant à grands pas, ne vienne infliger aux Alpes une tempête de ciel bleu et de fades éclairages crépusculaires.
Me voilà donc parti à l’assaut des cimes et c’est une nouvelle fois le Beaufortain qui est plébiscité. Une semaine après avoir arpenté les crêtes sud du barrage de Roselend, au tour désormais de la partie nord. La route, fermée jusqu’alors pour cause d’affaissement, a été rouverte le jour précédent, pour atteindre le Cormet de Roselend. Une occasion à saisir. La voiture garée au Plan de la Lai (1821 m) en fin de journée, l’objectif se dresse dans toute sa magnificence face à moi : le Rocher du Vent (2360 m). L’avantage du vendredi est d’éviter la cohorte de touristes sur ce lieu, probablement l’un des plus courus du massif. De sombres nuages, quoique guère menaçants, offrent une fraîcheur bienvenue pour l’ascension. Le dénivelé est rapidement avalé jusqu’à la Lauze (2165 m). Entre impréparation et lecture trop rapide de topos glanés çà et là, j’opte pour un cap à l’ouest, pensant qu’un sentier me conduirait au sommet. Il n’en est rien. Le parcours en balcon mène jusqu’au pied de la muraille rocheuse, dans laquelle un improbable tunnel a été creusé sur une centaine de mètres. Il débouche sur une vue plongeante sur le lac, magnétique. J’ai beau me dénuquer en regardant la cime, aucune sente n’y grimpe, si ce n’est le parcours de la via ferrata. Pas question de s’y risquer sans équipement et avec le poids sur le dos. Alors je poursuis l’itinéraire qui sillonne le flanc de la montagne, se dirigeant cette fois vers le nord-est. Le barrage de la Gittaz se dévoile peu à peu.
Quelques percées divines soulignent l’ambiance vespérale, avec les versants mouchetés d’une lumière éphémère. Ayant compris que mon erreur m’a fait faire le tour complet du Rocher du Vent par sa base, j’active la cadence pour finir la boucle jusqu’au Col de la Lauze (2330 m). Il n’est pas envisageable de rater le coucher de soleil. Plusieurs centaines de mètres plus au sud-ouest, un panneau indique que me voilà au Rocher du Vent. Très bien, je suis au beau milieu d’une crevasse, cernée de deux remparts tithoniques. Il faut coûte que coûte se rendre au sommet. Une croix jaune sur la gauche m’interpelle : plusieurs câbles sont fixés sur les dalles rocheuses. C’est donc parti pour un peu d’exercice aérien, vertigineux mais franchi sans encombre. Le sentier sommital atteint le point tant espéré : le bord de la falaise dominant Roselend, enfin ! Le panorama grandiose justifie la réputation des lieux.
Le jour se meurt peu à peu, le Soleil décline irrésistiblement vers l’horizon et quand il daigne passer sous la barre de nuages, il distille une lumière mordorée sur le secteur, d’un parfum enivrant, élevant la beauté à un niveau paroxystique. Une féérie phosphorescente l’espace de quelques minutes, avant que l’obscurité ne gagne définitivement la partie.
Le plat étant inexistant sur ces hauteurs, c’est dans le sillon du sentier que je dormirai, tel un vagabond. Ici, la couche a bien moins d’importance que l’extase des yeux. Quel régal d’ouvrir les paupières en plein cœur de la nuit, et d’avoir pour première image la Voie Lactée se tapissant sur la rétine…Le silence n’est pourtant pas total, les torrents gonflés par l’orage et la fonte des neiges, rugissent en contrebas, un vrombissement permanent.
Après un sommeil haché par les nombreuses captations nocturnes, les premières lueurs se manifestent déjà vers 4h, il faut cependant attendre deux heures de plus pour que les sommets alentour soient illuminés. Le grand théâtre du Beaufortain ouvre de nouveau ses portes, le public a répondu présent, déjà le parking en contrebas se remplit malgré l’heure matinale. Aux bruits torrentiels, s’en ajoutent d’autres, bien plus irritables : ceux des motards, qui semblent jouer à celui qui se fera le plus entendre dans la vallée, où tout résonne plus qu’ailleurs…
Une courte sieste plus tard, il est temps de remballer et partir, le soleil de juin est mordant pour l’organisme, et ce même dans les plus basses heures matinales.
Il est 11 heures quand la voiture est retrouvée. Les stationnements sont complets, je quitte le secteur à contre-courant avec la satisfaction d’avoir eu de belles et solitaires conditions.