Voilà deux week-ends de suite que la météo orageuse me prive de bivouac en altitude. Malgré un scénario qui se profile de nouveau pour cet intermède de l’Assomption, le cœur et l’envie l’emportent sur la raison. Afin de mettre à profit ces jours de congés, l’idée est d’aller tutoyer les 3000 mètres, maintenant que l’été a fait son œuvre là-haut, la neige s’en est allée. Depuis plusieurs années, un secteur en particulier me fait de l’œil, à force d’arpenter ses environs : la Pointe d’Archeboc (3272 m). Celle-ci se mérite, il faut compter 1500 mètres de dénivelé pour y parvenir. L’objectif est ambitieux, moi qui suis lesté de mes 20 kg, alors la gravir en deux étapes semble être une solution tout à fait appropriée.
En cette chaude journée dominicale, je rejoins le parking de l’Echaillon (1805 m), aux confins de la station de Sainte Foy Tarentaise, constituant le point de départ de ce grand circuit. Le début est une mise en jambes bienvenue, empruntant la Via Alpina en pente douce, afin de rejoindre le hameau du Monal, la balade familiale par excellence, en témoignent la quantité de touristes venus profiter de ce site classé. Les plus téméraires poursuivent l’ascension du versant, afin de rejoindre le vallon du Clou, 400 mètres plus haut. Une piste permet également de s’y rendre, mais à l’accès restreint. Des Anglais ont eu l’audace d’y monter avec leur véhicule de loisir. Les voilà plantés sur le bas-côté, une roue dans un nid-de-poule, s’efforçant de s’en extraire, en vain. Je passe à côté, le sourire aux lèvres, cela leur apprendra.
Une fois la retenue atteinte, vers 2200 mètres, c’est un nouveau paysage qui se dévoile, sauvage et puissant, ponctué de quelques bâtisses, en plus ou moins bon état, ainsi qu’un troupeau de vaches, occupant le replat herbeux de la vallée. Loin, très loin au fond, se dresse l’objectif du lendemain. Ce tas de rocailles paraît si inaccessible vu d’en bas ! Je remonte la rivière jusqu’au lieudit des Balmes, dernière trace de civilisation du secteur. J’y stationne un long moment, le temps d’évaluer les conditions météo, l’orage étant annoncé en fin d’après-midi, l’endroit peut être une solution de repli. Malgré quelques sombres nuages, rien de bien menaçant. Je décide alors de poursuivre l’itinéraire, jouxtant le torrent, jusqu’à arriver au Lac Noir (2618 m), grande étendue d’eau ceinturée d’abruptes versants et d’éboulis. Elle constitue également le terminus du sentier de randonnée officiel. Toute la suite sera une affaire de cairns et de déambulations hasardeuses.
Un promontoire dominant d’une centaine de mètres le lac, repéré lors des préparatifs, est rapidement atteint. Il sera le lieu d’étape pour la soirée. Il offre tout le confort souhaité : zones de plat, herbe et vue plongeante sur le vallon. Tandis que la journée s’achève, le ciel vient jouer les trouble-fête : la lumière est chassée du secteur, pour laisser place à un plafond nuageux sombre et hostile. Il s’accompagne de grondements résonant au loin. Il faut revoir les plans, je remballe tout pour trouver un abri sous roche plus haut, il est 20 heures passées. L’orage, bien que modeste, se fait suffisamment entendre pour inquiéter les pèlerins de passage. Je reste plus d’une heure recroquevillé dans cet inconfortable recoin schisteux, le temps pour la nuit de s’installer. L’atmosphère devient plus silencieuse, les averses disparues. Les signaux semblent être au vert pour finir la soirée. Le programme est modifié pour aller rejoindre le lac Brulet (2697 m), relativement proche, atteint en un quart d’heure, à la frontale. Après un bref repérage, je choisis mon emplacement pour la nuit à la belle étoile, aux abords du plan d’eau. A peine ai-je le temps de poser le sac, que la pluie s’invite de nouveau à la partie. J’installe dans la précipitation tapis de sol, duvet, sursac et…poncho qui va jouer le rôle de toile de tente sommaire. Pour accompagner ce désagréable moment, voilà que l’orage vient jouer la seconde mi-temps. C’est de nouveau un concert de vrombissements dans les cieux. L’un d’entre eux met moins de 3 secondes après l’éclair, preuve de sa proximité. Sous mon abri de fortune qui commence à prendre l’eau sur les côtés, je soupire davantage d’agacement que de panique, c’est un mauvais moment à passer, je prends mon mal en patience. L’épisode dure tout de même 1h30, puis peu à peu, tout s’estompe, le calme revient. D’innombrables étoiles tapissent le firmament, la récompense après tous ces désagréments. Je profite du lac pour capturer les reflets d’une magnifique Voie Lactée, régulièrement percée d’étoiles filantes, abondantes, nous sommes en plein dans les Perséides. Au chaos succède la féérie.
Aux premières lueurs de l’aube, la tempête de ciel bleu a raison de moi, je fais l’impasse sur les photos matinales, préférant prolonger cet agréable moment de plénitude, tandis que les rayons de soleil viennent se mêler à la fraîche brise rampant sur les versants. Contraste saisissant avec la veille.
Je reste ici jusqu’en fin de matinée pour que sèchent mes affaires, et capitalisant un repos bienvenu avant d’affronter cette crête qui me fait tordre le cou, tellement elle se montre inaccessible…