Vous l’avez peut-être aperçu dans le Dauphiné Libéré, je vous propose le récit complet du contexte de la prise de vue de cette image prise à la Croix du Nivolet le 13 janvier 2024.
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Voilà deux jours que les fonds de vallée sont pris sous une chape de brume, consécutive à un épisode pluvieux suivi de conditions anticycloniques, un classique dans nos contrées en période hivernale. En bas, le règne du froid et de la désolation. En haut, au-dessus de 1500 mètres, la douceur et la clarté solaire.
Le week-end étant là, délivré des obligations professionnelles, je peux enfin aller dominer ce phénomène, moi qui ai exposé par deux fois mes « brumes alpines » en festival. Une quête permanente, insatiable. Toutefois, la météo des prochains jours annonce une énième dégradation, emportant avec elle la stabilité des masses d’air, chassant mes sacro-saintes brumes. Déjà, le samedi matin, les vallées plus internes se sont dévêtues de leur coiffe opaline, Albertville et ses environs sont illuminés par un insolent soleil. Telle la grande marée, la mer se retire peu à peu des estuaires alpins.
L’heure est à la réflexion : où la mer de nuage voudra bien me faire l’honneur de rester jusqu’en fin de journée ? Les webcams me sont d’une grande utilité pour constater la dynamique et les évolutions diurnes. L’une d’entre elles retient mon attention, celle du Revard, dominant Aix-les-Bains et le lac du Bourget. Le brouillard semble s’accrocher un peu plus qu’ailleurs. Une idée germe dans ma tête : établir une composition entre la brume et les lumières urbaines, dans la pénombre post coucher de soleil. Pari audacieux et assez précis, mais avec une bonne probabilité. La Croix du Nivolet, de par son panorama grandiose, s’impose comme une évidence pour forcer le destin.
En début d’après-midi, me voilà ainsi garé au Sire (1409 m), sous un grand ciel bleu. La croix nécessite une marche d’approche d’environ 1 heure. Je m’y rends d’un pas décidé, mais l’esprit partagé entre le doute et l’espoir. Peu avant 15 heures, le sommet est atteint, sans difficulté. Nombreuses sont les personnes à être venues s’aérer en ce lieu si inspirant. Je passe toute la fin d’après-midi à contempler la bataille qui se déroule sans bruit en vallée, l’eau contre le feu, le soleil contre les brumes. En à peine 1 heure, la Combe de Savoie a capitulé, mais le sillon chambérien résiste, probablement grâce à l’humidité du lac du Bourget et à l’axe Chartreuse-Epine, faisant bloc. Côté Nord-Isère et Avant-Pays Savoyard, l’arrière-garde veille et les habitants ne verront assurément pas la couleur du ciel avant le lendemain.
Le jour décline progressivement, l’étoile vient embrasser l’horizon, distillant ses rayons mordorés sur les versants exposés. Autour de moi, la foule s’est clairsemée, seuls quelques irréductibles assistent à l’éphémère spectacle puis, une fois la lumière disparue, quittent les lieux. Pour le commun des mortels, c’est le moment de rentrer. Pour moi, c’est le début des hostilités.
L’horizon se pare d’une palette de couleurs chaudes, du rouge vermillon au jaune pastel, s’opposant au bleu nuit qui s’intensifie partout autour. En contrebas, la vie nocturne se met en place, les villes s’illuminent, telle une coulée basaltique. Le contraste de luminosité est encore trop important, il est nécessaire d’attendre, que les niveaux s’équilibrent, Rester au chevet du jour, malgré son sort scellé, jusqu’à son dernier souffle. Entre temps, un groupe de scouts fait son apparition, pendant quelques minutes, agrémentant ce moment. Je prends en photo leur petite équipe, ils me remercient.
L’instant est enfin venu. De pâles lueurs subsistent à l’horizon, tandis qu’au premier plan l’agglomération est éruptive. Entre ces deux éléments, la mer de nuage s’est bloquée contre la Chartreuse, notamment dans la vallée de Saint-Thibaud-de-Couz. Elle vient vomir son surplus dans le bassin chambérien. Toutes les conditions sont réunies, la scène, bien aidée par le cadrage choisi, est immortalisée. Le résultat de la prise de vue m’évoque immédiatement une référence biblique : « en ce jour-là se fendirent toutes les sources de l’immense abîme d’eau et les écluses des cieux s’ouvrirent. » (Genèse 7:11). Chambéry, magmatique, est comme menacée par le Déluge…
Quelques minutes plus tard, la nuit a définitivement chassé le jour, l’obscurité seulement chahutée par l’effervescence urbaine, il est temps de rebrousser chemin. Le contrat semble avoir été rempli.
Détails techniques :
D850 – 100 mm – 15 sec – 200 ISO
Heure de prise de vue : 18h05, soit environ 45 minutes après le coucher de soleil
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