Bivouac au Mont des Acrays dans le massif du Beaufortain.
Le choix du Mont des Acrays
Décidément, ce début de saison joue avec nos nerfs. Ce mois de juin démarre dans la continuité de celui de mai, caractérisé par une instabilité quasi permanente du ciel. Quand ce n’est pas la pluie, ce sont les orages, voire les deux. Le meilleur créneau de la semaine est ce mercredi, avec une belle fenêtre météo, avant la nouvelle dégradation prévue le lendemain. La neige encore bien présente en altitude constitue toujours un paramètre primordial dans l’équation de la destination : pour dépasser les 2000 mètres, il est préférable de choisir les versants exposés sud.
L’escapade est toute trouvée : aller sur les hauteurs du barrage de Roselend, dans le Beaufortain. Ce n’est pas l’incroyable agression nocturne au couteau, survenue quelques jours auparavant dans le secteur du Cormet de Roselend, qui va me faire reculer. Déjà parcourue l’année dernière, la crête entre le Col du Pré et le Cormet d’Arêches répond favorablement à l’ensemble des critères pour cette sortie.
Afin d’apporter un peu de variété, le démarrage s’effectue depuis le lac de Saint-Guérin (1512 m). Milieu de semaine oblige, on est loin de la foule des week-ends d’été. Le plan d’eau resplendit dans cet écrin de verdure, chapeauté par les cimes encore enneigées, le tout magnifié par un beau soleil et des cumulus décoratifs. Il fait étonnamment chaud en ce début d’après-midi, trop habitué par la fraicheur des dernières semaines. L’itinéraire emprunte tout d’abord la piste, encore fermée aux touristes à ce jour, puis un sentier attaque rapidement dans l’abrupt versant. Le lac se dévoile au fur et à mesure de l’ascension. Une multitude de fleurs tapissent les alpages, une fois les derniers boisements franchis : Pulsatiles, gentianes, crocus…dans un silence monacal.
Un coucher de soleil flamboyant dans le Beaufortain
Quelques névés ornent le flanc de la crête, puis l’objectif du jour est atteint : le Mont des Acrays (2165 m). Le panorama à 360 degrés est toujours aussi grandiose : Sa Majesté le Mont Blanc trône en maître au-dessus du lac de Roselend. A droite, les plus hauts sommets du Beaufortain (Aiguille du Grand Fond, Pointe de Presset, Roignais, Pierra Menta..) ont encore leur manteau hivernal. Derrière, même constat (Crêt du Rey, Grand Mont). Au loin, la silhouette des Aravis se dessine entre les cumulus qui deviennent de plus en plus nombreux.
La fin de journée se caractérise par un encombrement progressif du ciel, faisant poindre une légitime inquiétude en moi, compte tenu de mes récents déboires. Néanmoins les prévisions sont formelles : ni pluie, ni orage au programme. J’installe alors la tente sur un replat de la crête, avec une vue 4 étoiles sur le paysage. Le repérage des alentours m’amène à descendre le versant herbeux d’une cinquantaine de mètres, débouchant sur une abyssale entaille de la montagne, un ravin créé par un torrent. Ce dangereux belvédère offre un tableau de choix sur le lac de Saint-Guérin, sublimé par des rayons transperçant les nuages.
La nébulosité ambiante m’enlève pas mal d’espoirs quant aux conditions crépusculaires. Cependant, contre toute attente, peu après 21 heures, une improbable lumière vient se diffuser dans la vallée de Beaufort, et jaillir en douceur sur les sommets environnants. Elle plonge les lieux dans une éphémère atmosphère dorée, avant que la nuit ne vienne mettre un terme aux festivités. Sans la moindre lune, l’intermède nocturne favorise l’évasion de l’esprit, sous la coupole de la Voie Lactée qui se dresse du Mont Blanc au Crêt du Rey. Plusieurs voiles élevés estompent régulièrement la clarté des étoiles.
Un lever de soleil timide
Le réveil à 5 heures me tire de mon sommeil. Le vent s’est levé, renforçant la sensation de froid. Le ciel est plus encombré que la veille, et malgré quelques pâles rougeurs à l’horizon, je ne m’éternise pas à capturer cette aube sans saveur et retourne dormir, épuisé par ces bien trop courtes nuits de juin. C’est 3 heures plus tard que j’émerge, au son de l’Alouette et du crissement de la toile de tente, animée par les bourrasques. La teinte à l’ouest annonce la perturbation qui arrive à grands pas sur les Alpes, je plie bagages et poursuit le sentier pour effectuer une boucle, en passant le Passage de la Charmette, les Acrays, et revenir sur la piste au nord du barrage de Saint-Guérin.
Une agréable sortie dans le Beaufortain, ponctuée de quelques belles ambiances lumineuses.