Bivouac à la Dent de Cons dans le massif des Bauges.
Le choix de la destination
Les semaines se suivent et se ressemblent. Le temps peine à se stabiliser et réellement satisfaire à la saison estivale. Ce premier week-end de juillet ne déroge pas à cette fâcheuse règle, une énième perturbation doit traverser les Alpes. Tel un lion en cage, après 1 mois privé d’altitude, je force les événements en décidant d’un bivouac vendredi soir, avant la dégradation annoncée. C’est un choix à double tranchant : soit le ciel sera voilé, soit il laissera entrevoir de beaux jeux de lumière. Les dés sont lancés.
Partant après le travail, j’opte pour une destination proche. Ce petit chainon du nord-est des Bauges me fait de l’œil depuis que je suis installé ici. Ma première expérience avec celui-ci a failli m’être fatale, puisque la Belle Etoile, lieu de mon foudroiement, en fait partie. C’est le sommet dans son prolongement septentrional que je convoite : la dénommée Dent de Cons (2063 m). Il s’agit d’une véritable sentinelle, dominant Faverges, Ugine et Albertville.
L’ascension de la Dent de Cons
Garé au terminus de la route au lieudit du Raffort (1189 m), j’aborde les premières foulées à 17h15. Deux itinéraires permettent d’atteindre l’objectif : par l’Alpettaz au nord et par le Col de la Sellive au sud. Compte tenu de l’heure, je choisis le second, plus direct, mais également plus raide. Présent au début, le soleil passe rapidement derrière l’imposante muraille calcaire. C’est chose bienheureuse, le sentier remontant le vallon du Creux ne s’embarrasse pas avec la facilité, puisqu’il trace quasi droit dans la pente soutenue. Parfois, dans un élan de magnanimité, il accorde quelques lacets salvateurs. Le dénivelé est par conséquent rapidement avalé, les pauses étant inexistantes et la sudation bien avancée.
En à peine plus d’une heure, les 500 mètres d’ascension sont validés, au moment d’atteindre le Col de la Sellive (1721 m). Ce dernier, séparant la pointe éponyme à gauche et la Dent de Cons à droite, offre une belle vue sur Albertville. Au premier plan, le regard est irrésistiblement attiré par l’abyssale gorge minérale du torrent du Chiriac. Le moindre faux pas et c’est direction le Père Lachaise. A ce titre, le panneau annonce la couleur : « Direction Dent de Cons, passage vertigineux et délicat, nécessitant l’usage des mains. Vous vous y engagez sous votre propre responsabilité ». Il faut avouer que le sommet nécessite une forte inclinaison de la tête vers les cieux pour en apercevoir la silhouette.
Le chemin serpente dans l’abrupte pente, le rythme cardiaque s’emballe, l’ascension est négociée sans trop de difficulté. Mais clairement, par condition pluvieuse et/ou de brouillard, la dangerosité est réelle. Cette épreuve débouche sur la crête sommitale, réelle récompense après cette éprouvante montée : le soleil est retrouvé, il illumine la luxuriante végétation, notamment de gros bosquets de rhododendrons, premier plan de choix pour ce panorama grandiose. Un effort supplémentaire et la Dent de Cons est atteinte, en tout juste deux heures, soit quarante minutes de moins qu’annoncé sur le panneau au départ. Pas encore rouillé le vieux.
Contemplation au sommet
Des bancs de nuages élevés traversent le ciel de Savoie, la température baisse, le paysage perd de son éclat, je patiente. A l’horizon, une trouée offre de belles perspectives pour le crépuscule. Je profite de cette attente pour constater tout le potentiel de ce point de vue, tant le nombre de massifs observables est important : Bornes, Aravis, Beaufortain, Mont Blanc, Vanoise, Lauzière et, bien sûr, l’intérieur des Bauges. J’y aperçois d’ailleurs la Belle Etoile, discrète en arrière-plan, me rappelant ma sacrée mésaventure de mai. En fin de journée, la prophétie se réalise : le soleil réapparaît et distille ses rayons cristallins sur les lieux. Les versants se transforment en grandes parures dorées l’espace de quelques minutes, avant de replonger définitivement dans l’ombre.
Entre temps, le vent s’est levé. Il n’est pas envisageable de rester au niveau de la table d’orientation. Le secteur bénéficie de quelques dépressions herbeuses parfaitement adaptées à la situation, protégées des rafales, avec un parterre bien plus confortable que la rocaille sommitale. N’ayant pas pris la tente pour voyager léger, ce sera une nuit sous le ciel étoilé. Les heures défilent, le sommeil peine à être trouvé. Le vent a redoublé d’intensité. Si dans mon trou j’en suis relativement épargné, ce n’est pas le cas des sapins au-dessus. Ces derniers chantent leur complainte toute la nuit, sous l’assaut répété des bourrasques. Un sifflement permanent.
L’autre chose qui occupe mon esprit est la météo annoncée : de la pluie localement orageuse est prévue le lendemain dès le milieu de matinée. Et si les prévisions se sont trompées ? Et si elle arrivait avec quelques heures d’avance ? L’idée d’être piégé sur ce perchoir est loin de m’enchanter, le traumatisme de mai est encore trop frais.
Retour précipité avant la pluie
Finalement les premières lueurs de l’aube me rattrapent, à 5 heures. Ici, c’est toujours la soufflerie. Les couleurs matinales un temps espérées ne semblent pas être au rendez-vous. Mon regard est surtout happé par l’horizon ouest : des nuages bien chargés qui n’augurent rien de bon. L’ambiance venteuse accentue le côté oppressant, telles les prémices d’un cataclysme. Cette fois, je joue la carte de la prudence et plie tout pour au moins rejoindre le Col de la Sellive, synonyme de mise en sécurité définitive.
Peu avant de l’atteindre, le soleil se lève par-delà le massif du Mont Blanc. La lumière qu’il délivre est très pure, mais ne dure pas. Rapidement, des nuages lui barrent la route, mais laisse la place à un incroyable spectacle. Les rayons filtrés créent une intense percée divine qui se répand sur les versants de Megève. Rarement une telle scène s’était offerte à moi, avec tant de virtuosité. Un magnifique baroud d’honneur de notre étoile avant qu’elle ne disparaisse définitivement pour la journée.
C’est aux alentours de 7h30 que le parking est retrouvé, épilogue d’une sortie une nouvelle fois riche en émotions.