Bivouac au Mont Joly dans le Beaufortain – Octobre 2024
Le choix de la sortie
Le tant attendu mois d’octobre est arrivé ! Période de tous les possibles en montagne, lorsque les saisons s’entremêlent, les forêts dans leur dorure automnale répondant aux cimes parées de leur manteau blanc hivernal. La météo ces derniers temps est quelque peu compliquée à gérer, les épisodes maussades à pluvieux se succèdent. Toutefois, une fenêtre se profile entre samedi et dimanche matin, il ne m’en faut pas plus pour aller pèleriner là-haut. Dans les Préalpes, les couleurs commencent tout juste à tourner, j’irai les célébrer comme il se doit, quand elles seront cuites à point. C’est plutôt sur les massifs internes que je lorgne, dans l’espoir d’atteindre des altitudes suffisantes pour côtoyer les premières neiges fraîchement tombées.
Alors que j’avais acté d’aller au lac de Presset, dans le Beaufortain, j’ai finalement fait volteface une demi-heure seulement avant de partir de chez moi. Jugeant l’endroit trop enclavé par rapport aux possibilités météorologiques prévues. Malgré un vent modéré annoncé en altitude, c’est bel et bien sur une cime que j’envisage de bivouaquer, du côté d’un secteur qui m’est alors inconnu. Et pour cause ! Il est ceinturé de stations de ski. Pour une fois, je vais faire une entorse à mon principe consistant à ne randonner que dans des espaces naturels.
Cap vers le Mont Joly
Direction la vallée de Hauteluce, au nord de Beaufort, dont la route mène jusqu’au Col du Joly (1989 m), mon point de départ. D’entrée de jeu, le panorama coupe le souffle. La vue directe sur le massif du Mont Blanc récemment plâtré hypnotise le passant que je suis. Sur la droite, mon objectif du jour, le Mont Joly (2525 m), est masqué par les nuages, virevoltant sur les versants au gré des thermiques. Peu avant 14 heures, j’attaque les premières foulées dans ce décor paradisiaque, seulement trahi par la fraicheur d’octobre. La première partie consiste à arpenter le flanc oriental de la station des Contamines, sous la sentinelle locale, l’Aiguille Croche. Les pistes et sentiers sont transformés en une pataugeoire boueuse du fait de la fonte des neiges, rendant peu agréable l’ascension, d’autant plus que la brume obstrue le paysage.
Néanmoins, dès la crête atteinte, sous la Tête de la Combaz, c’est un tout autre univers qui se dévoile. Le parcours flotte dans les cieux, la limite du brouillard étant franchie. Aux environs de 17 heures, le Mont Joly est vaincu. L’esthétique de ce dernier n’est pas du meilleur goût : des structures béton supportent une armada d’appareils, antennes et autres panneaux solaires. Ces installations garantissent le bon fonctionnement du réseau de secours en montagne, ce qui incite à tolérer plus facilement cette structure disgracieuse.
Ambiance brumeuse
Je dédie la fin d’après-midi à contempler l’envoûtant panorama, formé de brumes ondulantes, semblant se déchirer au fur et à mesure du temps. Alors que le soleil approche de l’horizon, ces dernières se réduisent à peau de chagrin, à mon grand regret. Les derniers visiteurs s’en étant allés, me voilà seul dans cette immensité. J’installe la tente contre les aménagements, sur un léger replat terreux recouvert d’une fine pellicule de glace, l’immondice anthropique pourrait me protéger des éléments nocturnes…
Il est 19 heures. Le Soleil distille ses derniers rayons sur les lieux. C’est vers l’intérieur du Beaufortain que le spectacle se déroule. Les versants blanchis se parent d’une fantastique lumière dorée, tandis que le Col du Joly est momentanément envahi par une brume rasante et fugace. Au-dessus, la Pierra Menta se démarque par sa forme si caractéristique, cette canine rocailleuse semble vouloir perforer le ciel. La pénombre envahit progressivement la zone. Cet entre-deux offre des scènes douces : les villes s’éveillant partout autour, le fin croissant de lune mourant dans le brasier crépusculaire à l’est et les premières étoiles apparaissant dans le firmament.
Une nuit agitée
Alors que je me réjouissais de l’absence quasi totale de vent jusqu’alors, celui-ci s’est soudainement manifesté, confirmant la justesse des prévisions météorologiques. À la tombée de la nuit, il s’est intensifié de manière continue. Cette montée en puissance s’explique par l’approche d’une perturbation qui a déjà atteint les côtes atlantiques et s’apprête à traverser la France dans les heures à venir. Après avoir croisé différentes sources, la pluie ne devrait pas arriver avant la fin de matinée du lendemain. J’ai alors pris le pari d’assister au fameux « rougeur du matin, chagrin », expression annonciatrice du mauvais temps. Si tout se passe bien, les nuages élevés qui précèdent le passage perturbé devraient s’embraser avec les premières lueurs orientales.
En attendant, la nuit profonde s’est installée. Je reste un peu dehors en début de soirée, à regarder vers le nord des aurores boréales qui n’auront jamais pointé leur nez, en dépit des prévisions. Quelques images des cités éclairées, de la Voie Lactée et direction le duvet afin de trouver une chaleur bienvenue. Le socle des antennes n’assure qu’une protection partielle : toute la nuit, la tente est chahutée par un vent modéré et constant.
La toile chante sa litanie les heures durant ; dans cette grande lessiveuse qui est pourtant mon abri, le sommeil est difficile à trouver, d’autant plus que mon esprit est préoccupé par la météo du lendemain : « et si la pluie arrive plus tôt que prévu ? Et si un épais brouillard envahit les crêtes ? ». Mais les doutes s’estompent dès l’aube, tout se déroule comme je l’avais imaginé. Toute la Haute-Savoie est recouverte par les voiles élevés, sauf à l’est du Mont Blanc.
Éphémères teintes matinales
A 7 heures, un dégradé de rose, orange et rouge vif illumine le céleste. Malgré un vent toujours aussi ingrat, la magie opère durant une poignée de minutes seulement. Le paysage perd ensuite rapidement de son éclat, devenant terne : le Soleil ne percera pas. Côté ouest, l’horizon est peu engageant, très noir, une ondée est même perceptible sur la Combe de Savoie, au pied d’un Granier au sommet déjà invisible. Il faut vite déguerpir d’ici. Sans prendre le temps de manger, je prépare le sac, plie la tente et entame le parcours du retour. J’observe se déployer la perturbation : les plus hautes cimes au loin sont prises dans des nuages laiteux. D’abord Belledonne, puis la Vanoise et finalement le Beaufortain, preuve de son approche. Plusieurs hardes de chamois, qui se croyaient seules dans le secteur, détalent à mon apparition.
Finalement, la voiture est retrouvée sur les coups de 10 heures, en même temps que surgissent les premières gouttes de pluie mêlées au grésil. Le col est désert, le temps en a découragé plus d’un, à juste titre. Quant à moi, j’éprouve une grande satisfaction à l’égard de cette sortie, optimisée au cordeau sur le plan météorologique, qui m’a offert de magnifiques spectacles en altitude.
Bivouac au Mont Joly face au Mont Blanc