Longtemps annoncée désastreuse, la météo de cette fin de semaine a octroyé une petite fenêtre de beau temps, un créneau à ne pas manquer. Direction la vallée de Chamonix, à Tré-le-Champ (1416 m), les lacs des Chéserys (2210 m) constituent l’objectif du jour. Il a énormément plu la veille, l’atmosphère en porte encore les stigmates : une épaisse brume accroche les sommets, virevolte le long des versants. La probabilité de s’y retrouver plongé est relativement forte. Qu’importe, en bas le soleil brille et c’est à 13 heures que les premières foulées débutent. Malgré le poids du sac, l’ascension s’effectue à bon rythme et rapidement la seule réelle difficulté du parcours est atteinte : une série d’échelles disposées vers 1900 mètres. N’ayant pas le vertige, ce passage aérien s’avère surtout ludique. Il permet aussi d’engranger du dénivelé facilement. Peu avant 15 heures, la Tête aux Vents (2133 m) est franchie. Carrefour entre plusieurs sentiers, quelques randonneurs y sont croisés. Heureusement, on est un vendredi de mi-septembre, bien loin de l’affluence déraisonnée de ce coin en période estivale. Ici, la brume commence à faire son apparition, allant et venant au gré du vent.
La fin de l’itinéraire, à flanc de versant, n’augure rien de bon, se dirigeant tout droit dans le brouillard. A 15h15, le lac se dévoile. Il y fait frisquet et la recherche d’un spot de bivouac devient la priorité. Difficile de trouver l’endroit adéquat, les quelques replats sont gorgés d’eau, et hors de question de se mettre entre le plan d’eau et le Mont Blanc afin de préserver le panorama. Un secteur favorable est trouvé à quelques dizaines de mètres derrière un monticule rocheux. L’endroit est étroit mais fera l’affaire. De temps à autre, la vue se dégage, laissant entrevoir les imposantes murailles qui constitue le massif du Mont Blanc. En fin de journée, les éclaircies deviennent plus franches et permettent de profiter du panorama exceptionnel depuis le bord du lac, avec le reflet parfait du Mont Blanc, coiffé d’énormes nuages d’humidité. Le pari semble être gagné, mais de nouveau la brume envahit le site, hypothéquant franchement les espoirs de coucher de soleil. Je me positionne malgré tout au bout du plan d’eau vers 19 heures, en vain, les visibilités sont telles qu’il est presque impossible de voir l’autre rive. Pourtant, à la verticale, le ciel bleu se distingue ça et là. Mais le destin en décide autrement et il faut se résigner à faire une croix sur les belles couleurs vespérales. Comble de malchance, un groupe de randonneurs a la brillante idée d’installer leur campement pile sur la bande de terre séparant le lac du Mont Blanc, gâchant ainsi la pureté d’un des plus beaux panoramas des Alpes…
C’est dans cette ambiance d’humidité généralisée que je rejoins ma tente, alors que la Lune jaillit derrière l’Aiguille Verte et des bouquetins peu farouches broutent paisiblement à 5 mètres de l’abri. Malgré la météo mitigée, le froid ne se fait pas sentir et rapidement je m’endors. Vers 2 heures, le réveil sonne pour effectuer quelques clichés nocturnes. La Lune éclaire d’une douce lumière les lieux, la brume s’en est allée, à part dans le fond de vallée où elle subsiste encore. J’immortalise ce paysage plongé dans la semi-obscurité, tandis que tout là-haut, des dizaines de frontales s’activent sur les pentes enneigées : les alpinistes à l’ascension du Mont Blanc.
Vers 6h30, me revoilà posté au bord du lac. Les premières lueurs du jour éveillent les plus hautes cimes, dans une ambiance d’une grande sérénité, seulement trahie par ces mêmes randonneurs qui ont décidé de squatter mon champ de vision du début à la fin, sans avoir l’impression de gêner ma quête de perfection. Le ciel s’avère être un peu trop vierge de nuages pour ce lever de soleil digne d’une carte postale. Un renard vient me rendre visite, puis repart, l’air de rien. Par chance, des bancs de brumes arrivant de Suisse agrémentent ce décor de rêve. Le paysage se voit sublimé, grâce à la douceur des formes et de la chaude lumière qui se répand de façon éphémère.
Après cette agréable session matinale, je regagne mon campement. La tente est détrempée par toute l’humidité ambiante. Le soleil, qui enfin illumine les lieux, apporte un réconfort bienvenu. Prendre son petit déjeuner devant un cadre pareil fait partie de ces choses simples mais essentielles.
Vers 9h30, l’heure est venue de redescendre. Le parking est retrouvé 1h30 plus tard, sous un beau soleil et l’esprit rempli de belles choses. Je n’ai certes pas eu les conditions parfaites sur le plan photographique, mais la magie de ce secteur opère toujours année après année…