16-17 mai 2020
Le 11 mai a sonné la fin du confinement. Si durant les deux mois précédents la météo a été outrageusement bonne, cette semaine a été calamiteuse, entre froid et pluie. Les anciens diront, à juste titre, que c’était les Saints de glace. Ce premier week-end post-libération est alors synonyme de virée montagnarde, malgré le mauvais temps qui plane. Qu’importe, l’attente a été trop longue.
Dans la mesure où sur les deux Savoie le bivouac y est curieusement interdit jusqu’à nouvel ordre et que la règle des 100 km s’impose, le choix de la sortie est quelque peu restreint, même si les possibilités restent importantes côté Isère.
J’opte alors pour un sommet que je peux apercevoir depuis chez moi : le Dôme de Bellefont. J’y étais déjà monté il y a quelques années à l’automne depuis Perquelin, où les conditions y avait été intéressantes. Cette fois, c’est côté Grésivaudan que l’ascension va s’effectuer. Je pose la voiture vers 1100 m au niveau des anciens sanatoriums de Saint Hilaire du Touvet, récemment détruits. Il est 14h45.
La brume accroche le versant, j’attaque donc la montée dans une certaine humidité, tant dans l’air que sur le sol. Après quelques lacets sur une piste, je récupère le GR du tour des petites roches, qui longe le flanc oriental de la Chartreuse, jusqu’à atteindre la source du sanglier (1290 m).
A partir de là, l’exercice se corse radicalement puisque le sentier s’aventure droit dans la pente pendant 600 m de dénivelé. Mes jambes me rappellent que c’est la première vraie rando de la saison, et les 22 kg sur le dos n’arrangent pas la situation.
Quelques randonneurs croisés plus bas m’avaient garanti d’être au-dessus du brouillard une fois la crête atteinte, mais il semblerait que la brume ait pris de l’altitude entre temps. Non sans difficultés physiques, le Pas de Rocheplane (1860 m) est franchi. La visibilité ne dépasse pas les 50 mètres, ce qui porte un coup à la motivation. Le plus dur étant fait, je prolonge jusqu’au Dôme de Bellefont (1975 m). L’horloge indique 19h, il aura tout de même fallu 4h15 pour grimper ici…
Pour voir quoi ? Rien. A part du brouillard et 3 autres personnes qui eux aussi ont décidé de passer la nuit ici. Les emplacements n’étant pas légion, je trouve un pseudo-plat légèrement en contrebas, contre des petits sapins qui vont se révéler fort bienvenus pour protéger mon installation de fortune du vent.
L’ambiance est assez pesante entre la bise, la brume épaisse et ce froid humide. Comme je le craignais, aucune couleur crépusculaire n’aura daigné percer, s’allonger dans la tente et trouver le sommeil est la seule chose qui reste à faire, en croisant les doigts pour avoir de meilleures conditions le lendemain.
5 heures, le réveil sonne. Verdict en ouvrant la tente : du ciel bleu et des sommets de Belledonne visibles ! De bon augure. En revanche, le vent n’a pas faibli et en me positionnant sur le point de vue, le nord de la Chartreuse apparaît assez tourmenté avec une mer de nuages qui a davantage l’air d’un tsunami que d’une paisible baie. A peine ai-je le temps de faire quelques photos de ce phénomène, avec le Mont Blanc dans le cadrage, que la brume entame un ballet. Animée par un puissant vent de Nord remontant le vallon de Marcieu par effet Venturi, elle vient régulièrement occulter le paysage, jusqu’à le plonger sous les flots. Privé de ce spectacle depuis mon promontoire, je n’abdique pas et vais chercher le drone. C’est très angoissant de lâcher l’engin volant avec cette bise soutenue, mais le jeu en vaut la chandelle, la brume n’est pas épaisse au-dessus de ma tête. A une cinquantaine de mètres, l’appareil émerge des flots. La scène est saisissante : la mer de nuages venue de Savoie a envahi la Chartreuse et vient se déverser dans le Grésivaudan, telle la marée montante. Cerise sur le gâteau, le soleil vient déposer ses premiers rayons sur les nuages. Grandiose.
Je retourne ensuite me calfeutrer dans ma tente pour poursuivre ma nuit. A 10h30, je lève les voiles, direction le chemin du retour, pour retrouver la voiture à 13 heures, les jambes bien lourdes.