Le choix de la destination
Les jours se suivent et se ressemblent. Toute la semaine le schéma s’est répété : ensoleillé la journée, dégradation en soirée avec son lot d’orage et de pluie, parfois abondante. L’instabilité est toujours au programme de ce week-end, quoiqu’annoncée moins virulente et plus localisée. Je compte malgré tout bien arpenter les sentiers d’altitude, en prenant toutefois quelques précautions. Pas question de me retrouver piégé comme la semaine dernière dans les Bauges. L’objectif est de trouver un point de repli à proximité d’un sommet, en tenant compte de la neige, encore bien présente au-dessus de 2000 mètres.
Mes prospections me conduisent dans le septentrion des Aravis, sur le contrefort oriental du massif : Croisse Baulet. Cet endroit avait attiré mon attention deux semaines auparavant, lors d’un bivouac à 8 km au sud-ouest. Au nord du sommet, nichée dans un col, se trouve la cabane du Petit Pâtre : elle constituera mon poste d’observation avant de continuer, selon les conditions météo de la soirée.
Direction la Cabane du Petit Pâtre
Le programme me conduit au parking de Frébouge d’en Haut, à environ 1300 m, sur les hauteurs de Cordon, village autoproclamé Balcon du Mont-Blanc. Cependant, en début d’après-midi, le panorama est relativement mitigé. La totalité des massifs est coiffée de brumes tenaces, tandis qu’en vallée circulent de gris nuages, apporteurs d’averses. Les membres encore engourdis par l’heure de route sont directement mis à l’épreuve, sans la moindre marche d’échauffement.
Le sentier croise perpendiculairement les courbes de niveau, dré dans l’pentu comme ils disent ici. Au sommet du téléski de l’Herney, j’opte pour l’itinéraire de droite, dans l’idée de faire une boucle. Un épisode pluvieux interrompt momentanément mon ascension, préférant attendre sous un sapin à l’abri. Le chemin sort de la forêt au niveau de la Croix du Planet, offrant une belle vue sur la vallée de l’Arve, conjugué avec le retour du soleil. Croisse Baulet se dévoile en enfilade de l’alpage, elle est encore bien ceinturée par la neige, ce qui me pose question pour la suite.
Après un passage délicat, abrupt, glissant et câblé, je quitte le promontoire du Planet afin de récupérer la piste de crête, qui me dirige tout droit vers la cabane du Petit Pâtre, il est 16 heures passées. Le lieu est petit, et ne propose que le strict nécessaire : 6 m² avec un banc, une table, une fenêtre et un vieux matelas en mousse. Spartiate pour certains, grand luxe pour moi. Méfiant quant aux caprices du ciel, j’y reste 3 heures, à lire et contempler le paysage.
Tentative avortée de Croisse Baulet
Avec une conviction proche du néant, je reprends mon paquetage pour tenter l’ascension de Croisse Baulet. Le sentier officiel le contourne par l’est, mais la quantité de neige m’en dissuade, d’autant plus que sous le parcours se dressent des falaises. Toute chute serait fatale. La carte IGN mentionne une trace sur le flanc occidental, je me dis qu’en faveur d’une exposition plus favorable l’endroit y serait plus praticable. Après tout, ce n’est qu’un détour de 1,5 km. J’avance doucement, le franchissement d’une épaule me donne un bon aperçu des conditions : le versant est ponctué de multiples coulées neigeuses, dont certaines liées à des avalanches hivernales, un joyeux dédale. Je marche une demi-heure là-dedans, perdant la sente et navigant à vue. Des chamois me sifflent au loin. Ces princes de la montagne défient la gravité en grimpant avec élégance et grâce la rocaille, l’exact inverse de moi.
Le ciel s’est entre temps totalement voilé, tandis que les sombres nuages au-dessus des Aravis ne m’inspirent pas confiance. L’image satellite confirme qu’il n’y aura aucune belle couleur crépusculaire. Décourageant. Autant de facteurs qui m’amènent à réviser mes plans : retour à la cabane.
Couleurs flamboyantes à l’aube
Aucun rai de lumière ne vient embraser les cimes, le jour meurt dans l’anonymat, l’obscurité s’installe. Je suis seul dans ce petit abri pour la nuit et prends mes aises dans ce lieu où le calme règne. J’y dors confortablement jusque vers 5 heures, réveillé par l’appel de l’aube. Une petite perturbation étant attendue, j’espérais secrètement qu’elle agrémente le lever de soleil. En effet, la nébulosité d’altitude arrive sur le secteur : côté est le ciel est dégagé, côté ouest il est encombré. Le cocktail parfait pour les rougeurs matinales. 5h40 précisément, la magie opère. Le firmament s’embrase, d’abord au-dessus du Chablais, puis progressivement jusqu’au Mont Blanc. Les glaciers, encore coiffés de nuages, reçoivent les premiers rayons dominicaux, incandescents et éphémères. Le spectacle se poursuit avec des percées lumineuses une fois le soleil levé puis, peu à peu, la scène perd de son éclat.
Après un petit déjeuner face au toit de l’Europe, je quitte cet agréable lieu et termine la boucle entamée la veille, via les Seytets. Une sortie en demi-teinte mais les quelques minutes avant le lever de soleil ont largement compensé le reste.