Bivouac au lac du Clou (2373) dans le massif des Alpes Grées en Savoie.
Le choix de la destination
Après l’incursion de l’automne en plein cœur de l’été, c’est au tour de l’hiver de venir jouer les trouble-fêtes en plein milieu de septembre. A la faveur d’un décrochage d’air polaire, la France grelote. En quelques heures, le mercure dégringole, le froid envahit les Alpes et, logiquement, les sommets blanchissent au-dessus de 2000 mètres. Le beau temps prenant vite le relai, c’est l’occasion d’aller constater cet entre-deux saisonnier en altitude, malgré la fraîcheur qui subsiste.
Bien décidé à ne sortir qu’en Savoie cette année, je ne tarde pas à jeter mon dévolu sur un de mes coins préférés : la Haute-Tarentaise et le secteur du Monal, face à ce géant magnétique qu’est le Mont Pourri. Cela devient presque un pèlerinage : l’année passée, j’étais venu à bout de la Pointe d’Archeboc, au terme d’une aventure mouvementée, sous les orages (à lire ICI et ICI). Cette fois, l’ambition est moins grande : il s’agit d’aller explorer le vallon du Clou et son lac éponyme. Ma dernière visite remonte à l’automne 2012 !
Direction le Lac du Clou
Vers 15 heures, me voici au parking de l’Echaillon (1805 m), libre d’accès, la saison estivale et sa cohorte de touristes amenés par navette étant terminée. La mise en jambes débute sous un agréable soleil, tandis que les cimes sont coiffées des nuages résiduels de la veille. Il fait étonnamment bon, rendant d’autant plus agréable la première partie du parcours jusqu’au hameau du Monal. Ce petit hameau classé, dans un écrin naturel exceptionnel, est toujours un plaisir à admirer et à traverser.
Passé cet échauffement, les choses sérieuses commencent, en arpentant le versant surplombant le site, sur près de 400 mètres de dénivelé. Une fois le barrage du Clou atteint, au-delà de la forêt de mélèzes, le paysage et les conditions changent radicalement. Un plafond nuageux dense s’est installé sur le secteur. Stationné à 3000 mètres, il encombre les plus hautes cimes, instaurant une ambiance pesante. Les lieux sont partagés entre l’automne naissant, par les alpages ayant perdu leur éclat, et la percée hivernale, par les versants nacrés. En conséquence, la température chute, la fin de l’itinéraire s’effectue les bras gelés et les mains engourdies.
Peu après 17 heures, l’objectif est atteint. Un replat herbeux est trouvé à 50 m du lac. Ni une ni deux, la tente est montée pour se réchauffer. Je me repose un moment, puis sort, en vue du coucher de soleil. La partie n’est cependant pas gagnée, les nuages sont toujours aussi compacts. Mon seul espoir se trouve du côté de la crête sud-ouest, surplombant le lac d’environ 150 m et offrant une vue de choix sur la vallée de l’Isère. Je m’y dirige et retrouve en même temps du réseau, me permettant de consulter les données météo : ce front nuageux en provenance de Suisse n’occupe que la moitié orientale de la Savoie.
A l’horizon, tout est dégagé, de bonnes perspectives pour la suite… Depuis des années, cette crête m’attirait, pensant à tort qu’elle était escarpée, voire inaccessible. Il n’en est rien. Elle se traverse avec une grande facilité et présente un caractère très sauvage. En témoigne le seul chamois croisé aujourd’hui.
Lumières crépusculaires sur la Vanoise
C’est fort loin que le regard est attiré, du côté du cœur de la Vanoise, où des cimes émergent des brumes, baignant dans la lumière crépusculaire : Grand Roc Noir, Pointe du Charbonnier, Pointe de la Sana, la Grande Motte ou encore la Grande Casse, ces hauts lieux sont tels la braise scintillant dans un foyer de glace. Les versants, drapés d’une fine pellicule de neige, sont d’un grand esthétisme. Tous les détails du relief sont révélés, une multitude de formes abstraites et éphémères s’offrent au contemplateur que je suis. De l’autre, au-dessus de Bourg-Saint-Maurice, la fournaise tant attendue arrive : le soleil flirtant avec l’horizon, éclaire par en-dessous la masse nuageuse. Hélas, je n’en profite pas, le massif de la Vanoise faisant obstacle. Il est fort probable qu’en Beaufortain, le spectacle soit extraordinaire.
La luminosité commence à tarir. M’étant bien éloigné de la tente, je redescends m’y glisser à l’intérieur, manger et faire la sieste. Septembre présente l’avantage d’avoir des nuits suffisamment longues, et donc reposantes face au rythme du photographe de paysage. En début de soirée, le ciel est parsemé d’étoiles, tandis qu’une Lune généreuse émerge des Rochers de Pierre Pointe. Les lieux sont envahis d’une douce clarté, que j’immortalise aux abords du lac. La surface de ce dernier est animée d’une brume ondulante, rasante, qui resplendit sous la lueur lunaire.
Panorama sur le Mont Pourri au lever du jour
La nuit n’a pas été si fraîche que je le craignais. Certes, le mercure est tombé à -5°C, mais l’absence de vent a rendu le sommeil relativement agréable avec ce silence monacal, calfeutré dans mon duvet. Le lendemain matin, le réveil sonne à 5h30. L’objectif est de refaire la composition faite douze ans auparavant, du lever de soleil sur le Mont Pourri avec le Lac du Clou au premier plan. Vu la configuration des lieux, pas d’autre choix que de grimper les 200 mètres de l’abrupt versant, sur le premier palier au sud de la Pointe de la Foglietta. Me voici stationné à l’endroit escompté au début de l’heure bleue : le Mont Pourri impose de sa présence, ce géant silencieux trône fièrement sur la Haute-Tarentaise.
La pénombre s’estompe peu à peu et, l’heure venue du lever de soleil, rien ne se passe. Pas de Ceinture de Vénus, pas d’étincelle sur les cimes. L’avion qui traverse l’azur est également dans l’ombre : il se passe quelque chose à l’est. En effet, l’image satellite indique un front nuageux au large de Milan en Italie. Les quelques premières minutes fatidiques sont donc estompées, mais heureusement, le soleil fait rapidement son apparition et les sommets de la Vanoise s’illuminent. Je reste un long moment sur ce promontoire à observer les ombres se faire chasser progressivement par la lumière, puis retrouve mon abri de fortune.
S’ensuit la traditionnelle sieste matinale, mon moment préféré du bivouac, où l’air frais se fraie un passage dans la tente chauffée par les rayons du Soleil, pour une harmonie parfaite. Le bien-être à son paroxysme. La détente dominicale consommée, il est temps de rebrousser chemin pour retrouver la voiture sur les coups de midi, épilogue d’une sortie riche en conditions et en paysages.